Publié le 19 mars 2025

Trop de propriétaires de voiliers naviguent avec les réglages d’usine, subissant un bateau mou et peu réactif sans savoir pourquoi. La solution n’est pas dans l’achat de nouvelles voiles, mais dans la compréhension du gréement comme le véritable moteur du bateau. Cet article vous apprend à le régler finement, à l’écouter et à le transformer en une boîte de vitesses précise pour décupler la performance, le confort et le plaisir de naviguer, quelles que soient les conditions.

Beaucoup de plaisanciers considèrent le gréement de leur voilier comme un ensemble complexe et intimidant de câbles et de mâts. Ils naviguent des années avec les réglages de base, ceux effectués à la livraison du bateau, et finissent par accepter une certaine lenteur à la gîte, une barre dure dans la brise ou un manque de cap au près. Ils sentent bien que leur monture a plus de potentiel, mais l’idée de toucher à une ridoir ou de régler un pataras semble être une science réservée aux régatiers.

Pourtant, la frustration est bien réelle : voir d’autres voiliers, parfois plus anciens ou moins équipés, remonter mieux au vent ou filer plus vite aux allures portantes. L’approche habituelle consiste à penser que la solution réside dans une nouvelle grand-voile ou un génois plus performant. Si la qualité de la « garde-robe » est essentielle, elle ne représente que la moitié de l’équation. Une voile de course sur un gréement mal réglé est comme un moteur de Formule 1 monté sur un châssis de voiture de tourisme : le potentiel est là, mais il ne peut pas s’exprimer.

Et si la véritable clé n’était pas de voir le gréement comme une structure statique, mais comme le moteur vivant et la boîte de vitesses de votre voilier ? L’angle que nous proposons ici est de vous réapproprier cette mécanique essentielle. Il ne s’agit pas de devenir un expert en régate du jour au lendemain, mais d’apprendre à dialoguer avec votre bateau. En comprenant quelques principes fondamentaux, vous transformerez ces câbles inertes en leviers de performance et de confort, vous permettant de sculpter la puissance de vos voiles en fonction du vent et de la mer. Cet article va vous guider pas à pas pour que chaque sortie devienne une occasion d’affiner vos sensations et de redécouvrir le véritable plaisir de la voile.

Pour ceux qui préfèrent une approche visuelle, la vidéo suivante offre un excellent complément pratique sur l’un des aspects les plus critiques abordés dans ce guide : la vérification de votre gréement dormant, un prérequis indispensable à toute navigation sereine et performante.

Pour vous guider dans cette exploration du cœur de votre voilier, nous avons structuré cet article comme une progression logique, allant de la compréhension des grands choix architecturaux jusqu’à la philosophie même de la navigation. Chaque section est une étape pour faire de vous un maître à bord, en parfaite harmonie avec sa machine.

Gréement en tête ou fractionné : le choix qui définit le caractère de votre voilier

Avant même de parler de réglages, il faut comprendre l’architecture fondamentale de votre « moteur ». Le choix entre un gréement en tête et un gréement fractionné, opéré par l’architecte naval, n’est pas anodin ; il définit en profondeur le tempérament et la vocation de votre voilier. Le gréement en tête, où l’étai (le câble avant) est fixé tout en haut du mât, est la configuration la plus répandue sur les voiliers de croisière modernes. Selon une analyse de la conception des voiliers modernes, près de 70% des voiliers de croisière adoptent cette configuration pour sa simplicité et sa robustesse. Il permet d’utiliser de grands génois, très puissants par vent léger, et offre une structure globalement plus simple à gérer pour un équipage familial.

Le gréement fractionné, à l’inverse, voit son étai fixé plus bas que le sommet du mât (aux 7/8e ou 9/10e, par exemple). Cette configuration, souvent privilégiée sur les unités de course ou de croisière rapide, offre un contrôle bien plus fin. Elle permet de cintrer le mât en utilisant la tension du pataras, agissant ainsi directement sur la forme de la grand-voile pour l’aplatir ou la creuser. C’est un outil de réglage puissant qui transforme le mât en une véritable pièce active du gréement. « Le gréement fractionné permet un réglage plus fin des voiles et du mât, ce qui est souvent préféré pour les voiliers de régate », souligne l’analyse technique de Mers et Bateaux.

Comprendre la nature de votre gréement est la première étape pour dialoguer avec lui. Un gréement en tête sera plus tolérant mais moins subtil, tandis qu’un fractionné sera plus exigeant mais offrira une palette de réglages bien plus large. Reconnaître si vous pilotez une berline robuste ou une voiture de sport nerveuse est essentiel pour adapter votre conduite et vos attentes.

Pour mieux visualiser ces différences fondamentales, le tableau suivant résume les caractéristiques clés de chaque option.

Comparaison des gréements en tête et fractionnés
Critère Gréement en tête Gréement fractionné
Simplicité Plus simple et plus robuste Moins simple, plus complexe à régler
Performance Moins de possibilités de réglage fin Meilleurs réglages pour la performance
Usage Préféré pour la croisière et la fiabilité Souvent utilisé pour la compétition

Le cauchemar du démâtage : la checklist simple pour vérifier votre gréement dormant

Le gréement dormant, c’est le squelette de votre voilier. Composé des câbles fixes (étais, haubans, galhaubans) qui tiennent le mât debout, il travaille en silence et subit des contraintes énormes. Le négliger, c’est jouer avec le feu, car sa rupture mène presque inévitablement au démâtage. Contrairement au gréement courant que l’on manipule sans cesse, le dormant est souvent oublié. « Le gréement dormant demande une attention particulière. S’il ne s’use que très peu, certaines pièces sont à entretenir soigneusement », rappelle le guide d’hivernage d’Info Boaton. L’usure est lente, invisible, et se niche souvent dans les terminaisons, comme les sertissages, où la corrosion et la fatigue du métal font leur œuvre.

Une inspection régulière et méthodique est le seul rempart contre une avarie grave. Il ne s’agit pas de devenir un expert gréeur, mais d’adopter des réflexes de bon sens. Le meilleur moment pour cette inspection est lors de la préparation de la saison ou pendant l’hivernage, lorsque la pression est relâchée. Il faut traquer le moindre signe de faiblesse : un fil cassé dans un toron, une trace de rouille suspecte à la base d’un sertissage, une goupille fendue. C’est un travail d’observation minutieuse, qui peut littéralement sauver votre mât.

Le témoignage d’un plaisancier expérimenté est à ce titre édifiant : « J’ai évité un démâtage en mer grâce à une vérification minutieuse de mes haubans pendant l’hivernage, où j’ai détecté une microfissure. » Cette simple inspection a transformé une catastrophe potentielle en une simple opération de maintenance. C’est la preuve que quelques heures passées à examiner son gréement dormant sont l’un des meilleurs investissements pour la sécurité de l’équipage et la pérennité du bateau.

Pour vous aider à systématiser cette inspection cruciale, voici une liste d’actions simples à réaliser.

Votre plan d’action pour l’inspection du gréement dormant

  1. Points de contact : Inspectez visuellement chaque point de fixation des haubans et étais sur le pont (cadènes) et sur le mât (barres de flèche, capelages) pour détecter corrosion, fissures ou déformation.
  2. Collecte des câbles : Passez vos doigts (avec des gants) le long de chaque câble pour sentir d’éventuels torons cassés (« fils de cochon ») qui accrochent.
  3. Vérification des terminaisons : Examinez attentivement tous les sertissages et terminaux métalliques (ridoirs, chapes). Recherchez la moindre fissure ou trace de rouille (surtout pour l’inox).
  4. Contrôle des tensions : Assurez-vous que la tension des haubans est équilibrée de chaque côté. Un tensiomètre est idéal, mais une observation du mât (doit être droit) et une tension « raisonnable » au toucher sont un bon début.
  5. Intégrité des axes : Vérifiez que toutes les goupilles sont bien en place, non corrodées et sécurisées (avec des goupilles fendues ou des anneaux).

Les trois manettes secrètes pour prendre en main votre voilier

Si le gréement dormant est le châssis, le gréement courant et les réglages associés sont l’accélérateur, la boîte de vitesses et le volant de votre moteur. Oubliez la complexité apparente ; pour transformer radicalement le comportement de votre voilier, il suffit de maîtriser trois « manettes » principales qui agissent sur la forme de la grand-voile : le pataras, le cunningham et le couple drisse/bordure. Ces trois réglages sont vos outils pour dialoguer en permanence avec le vent. Leur but commun est de contrôler le creux de la voile : on le diminue (on aplatit la voile) quand le vent monte pour réduire la puissance et la gîte, et on l’augmente (on creuse la voile) quand le vent faiblit pour chercher de la puissance.

Le pataras, ce câble qui relie la tête de mât à l’arrière du bateau, est votre accélérateur le plus puissant, surtout sur un gréement fractionné. En le tendant, vous cintrez le mât vers l’arrière, ce qui a pour double effet d’aplatir la grand-voile et de tendre l’étai, améliorant ainsi le cap au près. L’impact est immédiat sur la sensation de barre. Un simple ajustement peut faire passer le bateau d’une tendance à vouloir remonter au vent (ardent) à un équilibre parfait. Une étude sur la performance a même montré qu’un réglage optimal du pataras peut améliorer l’efficacité de la grand-voile de plus de 15%.

Le cunningham et la drisse, quant à eux, contrôlent la position du creux. Tendre la drisse ou le cunningham déplace le creux de la voile vers l’avant, ce qui est idéal pour remonter au vent. Relâcher la tension le fait reculer, ce qui est souvent plus efficace aux allures portantes. Enfin, l’étarquage de la bordure (le long de la bôme) agit directement sur la partie basse de la voile, l’aplatissant pour « déverser » la puissance excédentaire dans la brise. Comme le résume parfaitement le Yacht Club de Fréjus, « Pour obtenir une voile plate, il faut : – Etarquer drisse et bordure, – étarquer pataras et bastaques, – étarquer cunningham. »

Maîtriser ces trois leviers, c’est reprendre le contrôle. L’illustration ci-dessous schématise leur action respective sur le profil de votre grand-voile

Comme vous pouvez le constater, chaque réglage a une influence directe et prévisible. En apprenant à les combiner, vous ne subissez plus le vent, vous le sculptez. C’est le début d’un dialogue fascinant entre vous, votre bateau et les éléments.

La garde-robe idéale de votre voilier : quelles voiles pour quel programme ?

Avoir un gréement bien réglé est une chose, mais il faut lui fournir les bons « pneus » pour chaque condition. La « garde-robe » de votre voilier, c’est-à-dire l’ensemble de vos voiles, doit être adaptée à votre programme de navigation. Un tour-du-mondiste n’aura pas les mêmes besoins qu’un régatier du dimanche ou qu’une famille naviguant en Méditerranée l’été. La clé n’est pas d’avoir le plus de voiles possible, mais d’avoir les voiles les plus polyvalentes et adaptées à 80% des conditions que vous rencontrez.

Pour la plupart des plaisanciers, une garde-robe de base efficace se compose d’une grand-voile (GV) à ris et d’un génois sur enrouleur. C’est le duo qui couvre la majorité des situations, du petit temps à la brise établie. La qualité du tissu est ici primordiale. Le Dacron classique est robuste et économique, mais il se déforme avec le temps, perdant en performance. Les tissus laminés, bien que plus chers et plus fragiles, offrent un avantage considérable en termes de maintien de forme et de légèreté. On estime que les voiles laminées ont une durée de vie performante supérieure de 50% à celle des voiles en Dacron, car elles résistent mieux à l’étirement.

Pour compléter cette base, deux voiles sont particulièrement intéressantes. La première est une voile de portant, comme un spinnaker asymétrique ou un Code 0. Ces voiles légères transforment la navigation par petit temps et aux allures arrivées, là où le génois seul peine à être efficace. Elles permettent au bateau de s’exprimer pleinement et procurent des sensations de glisse inégalées. La seconde, souvent sous-estimée en croisière, est une petite voile d’avant pour le gros temps, comme un solent ou une trinquette. Elle permet de garder un bateau équilibré et manœuvrant lorsque le vent force, sans avoir à utiliser un génois enroulé qui perd toute son efficacité.

L’intelligence d’une garde-robe réside dans la polyvalence. Parfois, une seule voile peut remplir plusieurs fonctions. Comme le note le magazine YACHT, « Au-delà de 20 nœuds de vent, un génois sur enrouleur démâté peut aussi faire le travail d’un S4, c’est-à-dire d’un petit spinnaker par vent fort. » Choisir ses voiles, c’est donc faire un arbitrage constant entre performance, budget et simplicité, en gardant toujours son programme de navigation comme boussole.

Les enrouleurs sont-ils les ennemis de la performance ? Le débat enfin tranché

L’enrouleur de génois est devenu un standard en croisière, et pour cause : son confort d’utilisation est inégalé. Pouvoir réduire la toile depuis le cockpit, sans effort et en toute sécurité, a révolutionné la navigation pour des milliers de plaisanciers. Cependant, cette facilité a un coût en termes de performance pure, une critique souvent entendue sur les pontons. Le principal reproche fait aux enrouleurs traditionnels est leur incapacité à maintenir un profil de voile correct lorsqu’elle est partiellement enroulée. Le creux de la voile, conçu pour une surface donnée, se déplace et augmente de manière disproportionnée. Comme l’explique le magazine YACHT, « Lors de l’enroulement, le profil se déplace toujours… la voile devient alors trop ventrale, ce qui n’est pas souhaitable par grand vent. » Un génois à moitié enroulé dans la brise devient un « sac » qui génère plus de gîte que de propulsion.

Cette critique, bien que fondée, ne prend pas en compte les évolutions technologiques majeures de ces dernières années. Le débat n’est plus simplement « pour ou contre » l’enrouleur, mais plutôt « quel type d’enrouleur et pour quelle voile ? ». Les voiliers modernes ont vu l’émergence de solutions qui marient le confort de l’enroulement à une bien meilleure performance. Les enrouleurs à emmagasineur pour les voiles de portant (Code 0, gennaker) en sont un parfait exemple. Ils permettent de déployer et de ranger ces grandes voiles très facilement, rendant leur usage accessible à un équipage réduit.

Même pour les voiles d’avant au près, l’innovation a permis de combler une grande partie de l’écart de performance. L’introduction des enrouleurs structurels et des câbles anti-torsion a changé la donne.

Étude de cas : L’innovation des enrouleurs à câble anti-torsion

Face au problème de l’affaissement du guindant (le bord d’attaque de la voile), des fabricants comme Facnor et Profurl ont développé des enrouleurs utilisant un câble « anti-torsion » structurel. Contrairement à un étai métallique classique, ce câble textile high-tech transmet la rotation de manière beaucoup plus efficace sur toute la hauteur de la voile. Le résultat est un enroulement plus propre et, surtout, un guindant beaucoup plus rigide lorsque la voile est déroulée. Cette rigidité réduit significativement la perte de performance liée à la déformation du profil, permettant aux voiles sur enrouleur de se rapprocher de l’efficacité des voiles endraillées traditionnelles.

Le débat est donc tranché : un enrouleur basique avec un génois mal coupé sera toujours un frein à la performance. Mais un système moderne, associé à une voile conçue spécifiquement pour l’enroulement (avec une coupe triradiale et un rattrapage de creux), représente aujourd’hui un compromis exceptionnel entre facilité, sécurité et efficacité. L’ennemi n’est pas l’enrouleur en soi, mais l’inadéquation entre la technologie et l’usage.

Virer ou empanner : la différence entre une manœuvre de routine et une situation de crise

Changer d’amure, c’est-à-dire faire passer le vent d’un côté à l’autre du bateau, peut se faire de deux manières : en virant de bord ou en empannant. Si le but est le même, la nature, la technique et les risques associés à ces deux manœuvres sont radicalement différents. Comprendre cette distinction est la base de la sécurité et de la maîtrise d’un voilier. Le virement de bord consiste à faire face au vent. Le nez du bateau traverse le lit du vent, les voiles se dégonflent un court instant et se regonflent sur l’autre bord. C’est une manœuvre douce, contrôlée et sécurisante. Le risque principal est de manquer son virement par vent faible ou mer formée, et de se retrouver « planté » face au vent. C’est inconfortable, mais rarement dangereux.

L’empannage, à l’inverse, consiste à changer d’amure en passant par le vent arrière. C’est une manœuvre potentiellement bien plus violente et risquée si elle n’est pas parfaitement maîtrisée. Le danger vient du passage de la bôme, qui peut balayer le cockpit avec une force et une vitesse redoutables. Comme le rappelle Filovent dans son guide,  » Un empannage non anticipé ou mal contrôlé entraîne un passage brutal de la bôme, ce qui peut provoquer des chocs dangereux pour l’équipage. » Un empannage raté, surtout dans la brise, peut causer des blessures graves ou des avaries matérielles (casse de la bôme, du vit-de-mulet, arrachement des écoutes).

La clé d’un empannage réussi réside dans l’anticipation et le contrôle. Il ne faut jamais le subir. La manœuvre doit être annoncée clairement à l’équipage, et chaque étape doit être maîtrisée. La grand-voile doit être bordée fermement au centre avant le passage, puis l’écoute doit être choquée en grand pour accompagner le mouvement de la bôme, et non le subir. C’est une danse où le barreur et l’équipier aux écoutes doivent être parfaitement synchronisés.

Pour un empannage en toute sécurité, les étapes suivantes sont cruciales :

  • Prévenir : Annoncer clairement « Préparez-vous à empanner ! » pour que chaque membre de l’équipage sache ce qui va se passer et se mette en sécurité.
  • Border : Border l’écoute de grand-voile progressivement jusqu’à ce que la bôme soit proche de l’axe du bateau. Cela limite sa course et sa vitesse de passage.
  • Pousser la barre : Le barreur pousse doucement la barre pour faire lofer le bateau et déclencher le passage du vent à l’arrière.
  • Contrôler et choquer : Au moment où la bôme passe, contrôler son mouvement avec l’écoute, puis choquer généreusement pour qu’elle trouve son nouveau réglage sans brutalité.
  • Régler : Une fois sur la nouvelle amure, régler rapidement les voiles pour la nouvelle allure.

La magie expliquée : comment un voilier peut remonter face au vent

Pour le non-initié, l’idée qu’un voilier puisse avancer contre la direction du vent relève presque de la sorcellerie. Pourtant, ce n’est pas de la magie, mais une application élégante des principes de l’aérodynamique, très similaire à ce qui permet à une aile d’avion de voler. Le secret réside dans un mot : la portance. Lorsqu’un voilier navigue au près (face au vent), la voile ne fonctionne pas comme un simple « pousseur » ; elle agit comme une aile verticale. Le vent qui s’écoule sur la face extérieure (sous le vent) de la voile a un chemin plus long à parcourir que le vent qui s’écoule sur la face intérieure (au vent). Cette différence de distance oblige l’air sur l’extérieur à accélérer.

Selon le principe de Bernoulli, cette accélération crée une zone de basse pression sur l’extrados de la voile, tandis que la pression reste plus élevée sur l’intrados. « La portance est générée par les différences de pression de part et d’autre de la voile, similaire au principe qui permet à un avion de décoller », explique simplement le site Atiyachts. Cette différence de pression génère une force qui « aspire » littéralement le voilier vers l’avant et sur le côté.

C’est ici qu’intervient le plan anti-dérive du bateau, c’est-à-dire la quille ou la dérive. Cette surface immergée s’oppose à la force latérale (la dérive), ne laissant s’exprimer que la composante qui pousse le bateau vers l’avant. C’est la combinaison de cette force aérodynamique de la voile et de la force hydrodynamique de la quille qui permet au voilier de « tricher » avec le vent et de remonter vers sa source. La finesse d’un voilier, c’est-à-dire sa capacité à remonter au vent à un angle très fermé, dépend de l’efficacité de ce couple voile/quille. Les voiliers modernes ont fait des progrès spectaculaires dans ce domaine. Grâce à une combinaison de quilles profondes à bulbe (qui abaissent le centre de gravité et augmentent le couple de redressement) et de voiles à haut rendement (qui maximisent la portance tout en minimisant la traînée), ils peuvent atteindre des angles impressionnants, optimisant ainsi leur vitesse de remontée au vent (VMG – Velocity Made Good).

Toute cette technique, toute cette physique, est au service d’une expérience qui la dépasse largement. Finalement, maîtriser son voilier n’est peut-être qu’un moyen d’accéder à une forme de liberté de plus en plus rare à notre époque.

À retenir

  • La nature de votre gréement (en tête ou fractionné) dicte son potentiel de réglage et son caractère : la robustesse simple ou la performance fine.
  • Une inspection visuelle et manuelle du gréement dormant n’est pas une option, c’est l’assurance la plus simple et la plus efficace contre le démâtage.
  • La maîtrise du trio pataras, cunningham et bordure est la clé pour transformer vos voiles en un moteur puissant et adaptable à toutes les conditions de vent.

L’éloge de la lenteur : pourquoi le voilier est le dernier espace de liberté de notre époque

Nous avons parlé de physique, de matériel, de performance et de technique. Nous avons appris à voir le gréement comme un moteur, à le régler pour gagner en vitesse et en efficacité. Mais au fond, pourquoi faisons-nous tout cela ? La véritable finalité de la maîtrise technique n’est pas la performance en soi, mais la liberté qu’elle procure. La liberté de se sentir en sécurité dans la brise, la liberté d’aller où l’on veut, même face au vent, et surtout, la liberté de se déconnecter d’un monde obsédé par la vitesse et l’immédiateté.

Le voilier est un paradoxe magnifique. C’est un objet de haute technologie, fruit de siècles d’innovations en hydrodynamique et aérodynamique, dont le but ultime est de nous permettre d’avancer… lentement. Il nous oblige à nous resynchroniser avec le rythme des éléments : le cycle du soleil, la force du vent, le courant de la marée. À bord, l’impatience n’a pas sa place. On ne peut pas forcer le passage contre une mer formée ou une absence de vent. On apprend à attendre, à observer, à s’adapter. Le voilier est une école de patience et d’humilité, deux vertus devenues presque subversives dans notre société moderne.

C’est dans cette lenteur consentie que réside la véritable évasion. Loin de la pollution sonore et de la frénésie terrestre, le seul bruit est celui du vent dans les voiles et de l’eau sur la coque. C’est un espace où le temps s’étire, où l’on peut enfin penser, lire, discuter ou simplement être, sans autre distraction que la beauté du monde qui nous entoure. Le philosophe Henry David Thoreau disait : « Je vais à la mer, non pas pour y trouver des réponses, mais pour y poser des questions. » Le voilier est ce lieu privilégié où l’on peut se poser les bonnes questions, loin du tumulte qui nous empêche de les entendre.

Naviguer à la voile, c’est vivre en accord avec ses rêves.

– Bernard Moitessier, La Longue Course

Commencez dès aujourd’hui à mettre en pratique ces conseils. Ne cherchez pas la perfection, mais l’expérimentation. Tendez ce pataras, choquez cette bordure, et surtout, sentez la réponse du bateau sous vos pieds et dans la barre. C’est le début d’un dialogue qui transformera votre manière de naviguer.

Rédigé par Yann Le Goff, Yann Le Goff est un skipper professionnel et formateur en sécurité maritime depuis plus de 20 ans, spécialisé dans la navigation hauturière et la gestion des situations critiques en mer.