
Contrairement à la croyance populaire, un trimaran Ultim n’est plus un voilier, mais un système aérospatial dont la performance repose sur la gestion du risque à la frontière entre le vol et la catastrophe.
- Les foils ne sont pas de simples « ailes », mais des appendices complexes dont l’efficacité définit une fenêtre de vol extrêmement réduite et précaire.
- Le skipper n’est plus un barreur, mais un pilote-opérateur gérant des flux de données pour maintenir l’équilibre à des vitesses approchant les 100 km/h.
Recommandation : Analysez ces bateaux non pas par leurs voiles, mais par la forme de leurs foils et l’aérodynamisme de leur cockpit pour comprendre leur véritable potentiel et leurs limites.
Voir un trimaran de course de 32 mètres s’élever au-dessus des vagues et fendre l’océan à plus de 80 km/h est un spectacle qui défie l’entendement. L’image de ces géants, soutenus par de frêles appendices en carbone, a durablement marqué l’imaginaire collectif. Spontanément, on explique ce prodige par une analogie simple : les foils, ces grandes dérives courbes, agissent comme des ailes d’avion sous-marines. C’est l’explication que l’on retrouve partout, et si elle n’est pas fausse, elle est radicalement incomplète. Elle occulte l’essentiel de la révolution qui s’est jouée.
La réalité, du point de vue de l’ingénieur qui les conçoit, est bien plus complexe et fascinante. Penser ces machines comme de simples « voiliers rapides » est une erreur fondamentale. Il faut les voir pour ce qu’ils sont devenus : des systèmes aérospatiaux hybrides, opérant dans l’environnement le plus hostile qui soit. La véritable clé de leur performance ne réside plus dans l’art de la navigation à la voile, mais dans une maîtrise quasi algorithmique de la physique des fluides, de la science des matériaux et, surtout, dans une gestion de tous les instants du risque de rupture. La question n’est plus « comment aller vite ? », mais « comment survivre à la vitesse ? ».
Cet article vous ouvre les portes de la salle des machines. Nous n’allons pas seulement parler de voile, mais d’hydrodynamique, de pilotage assisté et de stratégies de conception. En tant qu’ingénieur naval, je vais vous révéler les secrets qui se cachent sous la ligne de flottaison, dans le cockpit et au cœur même du carbone. Vous ne regarderez plus jamais un Ultim de la même manière.
Pour décrypter ces Formule 1 des mers, nous allons explorer en détail chaque composant critique, de la physique des foils aux défis mentaux des skippers. Ce guide vous donnera les clés pour comprendre pourquoi ces bateaux volent, comment ils sont pilotés à la limite, et quels sont les défis technologiques qui façonneront leur avenir.
Sommaire : La révolution volante des trimarans de course expliquée
- Les foils : l’aile d’avion sous-marine qui a tout changé
- Piloter un Ultim : un mélange de finesse de barreur et de sang-froid de pilote de chasse
- Le cauchemar des skippers : le chavirage à 40 nœuds et la menace des OFNI
- Pourquoi les trimarans de course se ressemblent tous (mais sont tous différents)
- Ultim vs Ocean Fifty : deux visions du trimaran de course au large
- Carènes à steps, foils, étraves inversées : à quoi ressembleront les bateaux du futur
- Coques en aluminium, stabilisateurs gyroscopiques : les prouesses technologiques cachées dans les yachts
- Sous la ligne de flottaison se cache la vérité : l’architecture navale pour les nuls
Les foils : l’aile d’avion sous-marine qui a tout changé
L’analogie de l’aile d’avion est un bon point de départ, mais elle s’arrête là où la complexité commence. Un foil génère de la portance hydrodynamique de la même manière qu’une aile génère de la portance aérodynamique : le profil courbe crée une différence de vitesse de l’écoulement de l’eau, et donc une différence de pression, qui aspire le bateau vers le haut. La magie, et le défi, résident dans la densité du fluide. L’eau étant environ 800 fois plus dense que l’air, un foil de quelques mètres carrés peut soulever une structure de plus de 15 tonnes. C’est ce qui permet aux Ultims nouvelle génération de « décoller » dès 22 nœuds avec 14 nœuds de vent.
Mais cette puissance a un coût : l’instabilité. Contrairement à une aile d’avion dans un ciel relativement homogène, un foil opère juste sous une surface chaotique, la mer. Le moindre changement d’angle, la moindre vague, modifie brutalement la portance. Le véritable ennemi est un phénomène appelé cavitation. À très haute vitesse, la pression sur l’extrados (le dessus du foil) devient si faible que l’eau se met à bouillir à température ambiante, créant des bulles de vapeur. Lorsque ces bulles implosent, elles créent des micro-chocs qui peuvent endommager le foil et, surtout, provoquer une perte de portance instantanée et catastrophique. Le bateau « décroche » et retombe violemment sur l’eau.

Le design d’un foil est donc un compromis permanent entre la recherche de portance maximale à basse vitesse et la prévention de la cavitation à haute vitesse. C’est un travail d’orfèvre où chaque millimètre de la courbure est optimisé par des simulations informatiques poussées (CFD – Computational Fluid Dynamics). Cette révolution n’est d’ailleurs pas limitée aux Ultims ; elle a transformé des classes entières, comme les International Moth qui, en quelques années, sont passés à une flotte entièrement volante, démontrant la supériorité écrasante de ce concept.
Piloter un Ultim : un mélange de finesse de barreur et de sang-froid de pilote de chasse
À bord d’un Ultim lancé à plus de 40 nœuds, le terme « barreur » est presque obsolète. Le skipper est devenu un opérateur de système, un pilote. La traditionnelle barre à roue a souvent laissé place à un joystick et à une série d’écrans affichant un flux constant de données : angles des foils, charge sur les appendices, pression dans les vérins hydrauliques, vitesse du vent réel et apparent… L’objectif n’est plus de « diriger » le bateau, mais de maintenir une fenêtre de vol stable, un équilibre précaire de quelques dizaines de centimètres d’altitude.
La moindre erreur de pilotage a des conséquences exponentielles. Une sur-incidence sur le foil et le bateau décolle trop, exposant l’appendice à l’air et provoquant un décrochage brutal. Une sous-incidence et la coque centrale touche l’eau, créant un freinage d’une violence inouïe, capable de projeter l’équipage et de mettre en péril l’intégrité de la structure. C’est un exercice de concentration extrême, où le pilote doit anticiper la vague qui arrive dans 10 secondes pour ajuster l’assiette. Les vitesses atteintes sont hallucinantes ; lors d’un entraînement, Charles Caudrelier a établi un record non officiel de 50,7 nœuds (93,9 km/h), une vitesse d’autoroute sur une mer formée.
Cette tension permanente est parfaitement résumée par une légende de la course au large, Loïck Peyron, qui met en lumière la dimension psychologique de ce défi :
« Aujourd’hui, le côté spectaculaire des images et les vitesses exceptionnelles de ces Ultim font qu’on se demande si, mécaniquement c’est possible de boucler le tour du monde, et les marins se posent eux-mêmes la question. Le fait d’augmenter les vitesses ne fait qu’augmenter les risques. »
– Loïck Peyron, ancien vainqueur du Vendée Globe
Ce témoignage illustre bien que le défi n’est plus seulement nautique, mais aussi mécanique et psychologique. Le skipper doit faire une confiance aveugle aux calculs des ingénieurs qui ont défini les limites de la machine, tout en ayant le sang-froid d’un pilote de chasse pour réagir en une fraction de seconde à l’imprévu.
Le cauchemar des skippers : le chavirage à 40 nœuds et la menace des OFNI
La vitesse est une arme à double tranchant. Si elle permet de battre des records, elle transforme le moindre obstacle en une menace mortelle. Le premier risque est le chavirage. Enfourner une vague à haute vitesse peut stopper net le flotteur sous le vent, et l’inertie du bateau le fait basculer par l’avant en une fraction de seconde. À 40 nœuds (74 km/h), il n’y a aucune marge d’erreur. Le second péril, plus insidieux et de plus en plus fréquent, est la collision avec un OFNI (Objet Flottant Non Identifié) ou un cétacé.
L’impact avec un conteneur semi-immergé, une bille de bois ou une baleine à de telles vitesses est équivalent à celui d’une voiture heurtant un mur de béton. Les appendices (foils, safrans) sont conçus pour être les « fusibles » du bateau, cassant les premiers pour préserver l’intégrité de la coque. Mais même ainsi, les dégâts peuvent être rédhibitoires. L’Arkéa Ultim Challenge 2024 a été une illustration dramatique de ce fléau : sur les six bateaux engagés, trois étaient en escale suite à des collisions avec des OFNI au début de la course, soit 50% de la flotte touchée.

Face à cette menace, les équipes de course ne restent pas inactives. La « chance » n’a pas sa place dans l’ingénierie de pointe. Plusieurs systèmes de détection sont en cours de développement ou déjà en service, chacun avec ses forces et ses faiblesses. C’est une véritable course technologique qui se joue en parallèle de la course sur l’eau.
Ce tableau résume les approches actuelles pour tenter de mitiger un risque qui reste la plus grande angoisse des marins et des architectes. Il met en lumière le fait que la solution parfaite n’existe pas encore.
| Technologie | Efficacité | Limitations |
|---|---|---|
| Caméras thermiques Sea.Ai | Détection en surface | Ne détecte pas les objets immergés |
| Programme Exos 2024 | Capteurs sous-marins | En développement |
| Zones d’exclusion | Évitement des zones à risque | Rallonge les parcours |
Pourquoi les trimarans de course se ressemblent tous (mais sont tous différents)
De loin, la flotte des Ultims peut sembler homogène. Cette ressemblance n’est pas un hasard, elle est dictée par une « règle du jeu » très stricte : la jauge de la classe. Pour qu’un bateau soit classé « Ultim », il doit respecter des contraintes dimensionnelles précises. La jauge Classe Ultim 32/23 impose des limites strictes : une longueur maximale de 32 mètres et une largeur maximale de 23 mètres. Cette boîte réglementaire contraint fortement les architectes et explique pourquoi les silhouettes générales convergent.
Cependant, à l’intérieur de ce cadre, la liberté est quasi totale. C’est dans les détails que se niche la performance et que s’expriment les différentes philosophies architecturales. Chaque bateau est en réalité un prototype unique, le fruit de millions d’euros d’investissement et de milliers d’heures de recherche et développement. Les différences, bien que subtiles pour le néophyte, sont fondamentales. Elles concernent des choix stratégiques qui peuvent faire gagner ou perdre une course autour du monde.
Pour un œil averti, chaque Ultim raconte une histoire différente. Ces choix de conception sont le reflet de compromis entre la recherche de performance pure dans des conditions idéales et la polyvalence nécessaire pour affronter la diversité des météos d’un tour du monde. Certains bateaux seront optimisés pour décoller très tôt dans le vent faible, au détriment de la vitesse de pointe, tandis que d’autres seront de véritables missiles dans la brise, mais plus patauds dans les petits airs.
Plan d’action : Décoder les secrets d’un Ultim
- Analyser la philosophie des foils : Observez leur forme générale. Sont-ils très grands et puissants pour un vol précoce (polyvalence) ou plus fins et élancés pour une vitesse maximale (performance pure) ?
- Identifier la forme des appendices : Les foils sont-ils en forme de « C » (plus anciens et robustes), de « L » (plus polyvalents) ou de « S » (plus récents et complexes) ? Chaque forme a un comportement hydrodynamique différent.
- Évaluer l’aérodynamisme : Comparez le cockpit et les bras de liaison. Sont-ils très épurés et bas sur l’eau pour minimiser la traînée aérodynamique, quitte à être très humides et exposés ?
- Repérer la géométrie des bras : La position et la forme des bras de liaison influencent la raideur de la plateforme. Des bras plus droits et plus en arrière favorisent la performance, des bras plus courbes peuvent améliorer le passage dans la vague.
- Questionner le système de contrôle : Bien qu’invisible, le système de « rake » (ajustement de l’angle d’incidence) des foils est crucial. Est-il entièrement hydraulique pour la puissance et la rapidité, ou intègre-t-il des sécurités mécaniques pour la fiabilité ?
Ultim vs Ocean Fifty : deux visions du trimaran de course au large
Si les Ultims représentent le sommet de la pyramide en termes de technologie et de taille, ils ne sont pas les seuls trimarans volants à sillonner les océans. Leur « petit frère », la classe Ocean Fifty, propose une vision différente mais tout aussi excitante de la course au large sur trois coques. La comparaison entre ces deux classes est révélatrice de deux philosophies opposées : le prototype extrême face à la monotypie maîtrisée.
L’Ultim est le domaine de l’innovation sans limite (ou presque), où chaque bateau est un concentré unique de technologie de pointe. C’est une course à l’armement technologique où les budgets sont colossaux. L’Ocean Fifty, en revanche, est une classe à jauge beaucoup plus restrictive, pensée pour garantir une compétition plus équilibrée et maîtriser les coûts. La longueur et la largeur sont fixées à 50 pieds (15,24 m), et de nombreux éléments sont standardisés pour que la différence se fasse avant tout sur le talent des équipages plutôt que sur le budget de l’équipe.
Cette différence de philosophie se traduit par des écarts de performance spectaculaires. Un Ultim est conçu pour le vol océanique et les records en solitaire ou en équipage réduit, capable de tenir des moyennes ahurissantes. Pour mettre en perspective, le record de Francis Joyon a parcouru 894 milles en 24 heures (soit une moyenne de 37,25 nœuds) lors du Trophée Jules-Verne. Un Ocean Fifty, plus léger et agile, est redoutable sur des parcours plus courts et côtiers, offrant des régates au contact extrêmement intenses.
Le tableau suivant synthétise les différences fondamentales entre ces deux interprétations du trimaran de course moderne.
| Critère | Ultim 32/23 | Ocean Fifty |
|---|---|---|
| Longueur | 32 mètres max | 15,24 mètres (50 pieds) |
| Largeur | 23 mètres max | 15,24 mètres max |
| Flotte | 6 bateaux | 11 bateaux (numerus clausus) |
| Philosophie | Prototypes extrêmes | Jauge restrictive |
| Coût moyen | ~12 millions € | ~2-3 millions € |
Carènes à steps, foils, étraves inversées : à quoi ressembleront les bateaux du futur
La révolution du foil, initiée dans la course au large, commence à infuser bien au-delà de ce microcosme. Les principes physiques validés sur les Ultims sont désormais adaptés à d’autres secteurs du monde maritime, notamment le transport de passagers et de marchandises. L’objectif est double : augmenter la vitesse et, surtout, réduire drastiquement la consommation de carburant et les émissions de CO2. En soulevant la coque hors de l’eau, on élimine la traînée hydrodynamique, qui est le principal frein à l’avancement d’un navire.
Des concepts autrefois futuristes deviennent des projets concrets. On voit apparaître des projets de ferries à foils, des navettes urbaines volantes et même des cargos assistés par des ailes rigides. L’industrie navale, souvent perçue comme conservatrice, est en pleine effervescence. La convergence des technologies de la course (matériaux composites, foils, routage météo) avec les impératifs écologiques est en train de créer une nouvelle génération de navires. Les projections montrent une accélération de cette tendance, où l’industrie prévoit la production de 2000 systèmes de voile innovants d’ici 2030 pour équiper la flotte marchande.
Étude de cas : Le projet Vela, le trimaran cargo du futur
Porté par le navigateur François Gabart, le projet de cargo « Vela » est l’exemple parfait de ce transfert de technologie. Ce trimaran de transport combine une surface de voiles rigides équivalente à huit terrains de tennis avec des centaines de panneaux photovoltaïques et deux hydrogénérateurs (qui utilisent la vitesse du bateau pour produire de l’électricité). Cette hybridation énergétique poussée vise un objectif ambitieux : transporter des marchandises à une vitesse deux fois supérieure à celle d’un cargo traditionnel, tout en visant le zéro émission. C’est la preuve que les leçons apprises sur les bêtes de course peuvent directement contribuer à la décarbonation du transport maritime.
Le futur de la navigation ne se limitera pas aux foils. D’autres innovations comme les carènes à « steps » (des redans sous la coque qui créent un coussin d’air pour réduire la friction) ou les étraves inversées (qui améliorent le passage dans la vague) continueront de façonner des bateaux de plus en plus efficaces et spécialisés. La course au large restera le laboratoire à ciel ouvert de ces technologies.
Coques en aluminium, stabilisateurs gyroscopiques : les prouesses technologiques cachées dans les yachts
Si le titre évoque les yachts et l’aluminium, il pointe vers une vérité plus profonde : la science des matériaux et les systèmes embarqués sont au cœur de la performance. Dans le monde des Ultims, l’aluminium, autrefois roi, est devenu un lointain souvenir. La véritable prouesse technologique cachée, c’est la maîtrise absolue des matériaux composites. Une coque d’Ultim n’est pas simplement « en carbone ». C’est un sandwich complexe, un mille-feuille structurel où chaque couche a un rôle précis.
L’extérieur est composé de fines peaux de fibre de carbone pré-imprégnée de résine, cuites à haute température dans des moules gigantesques pour garantir une rigidité et une légèreté maximales. Mais le secret, c’est l’âme de ce sandwich. Il s’agit souvent d’un matériau en nid d’abeille Nomex, une structure alvéolaire inspirée des abeilles, qui est incroyablement légère mais offre une résistance à la compression phénoménale. C’est cette combinaison qui permet d’obtenir des coques de 32 mètres pesant à peine quelques tonnes, mais capables de résister à des impacts et des torsions extrêmes.
Au-delà des matériaux, les « prouesses cachées » sont les systèmes qui animent le bateau. Oubliez les stabilisateurs gyroscopiques des yachts de luxe, trop lourds et lents. Sur un Ultim, la stabilité est active et dynamique, gérée par un réseau de vérins électro-hydrauliques. Ce sont eux qui, par simple pression d’un bouton depuis le cockpit, permettent d’ajuster en temps réel l’angle d’attaque (le « rake ») des foils et des safrans. Ce système est le système nerveux du bateau, permettant au pilote d’ajuster l’assiette et l’altitude de vol avec une précision millimétrique. C’est une technologie directement issue de l’aéronautique.
Points clés à retenir
- Un trimaran de course moderne n’est plus un voilier mais un système aérospatial hybride, où la gestion du risque prime sur la vitesse brute.
- Le vol sur foils est un équilibre instable et précaire, constamment menacé par la cavitation et les conditions de mer, et géré activement par le pilote.
- La performance est le fruit d’un compromis architectural entre la jauge, la philosophie de conception (polyvalence vs vitesse pure) et les technologies de détection des risques.
Sous la ligne de flottaison se cache la vérité : l’architecture navale pour les nuls
En définitive, toute la complexité technologique d’un trimaran de course repose sur quelques principes physiques fondamentaux. Comprendre l’essence de l’architecture navale moderne, c’est avant tout comprendre la lutte permanente contre un ennemi : la traînée. La traînée est la force qui s’oppose à l’avancement du bateau. Elle se compose principalement de la traînée de friction (le frottement de l’eau sur la coque) et de la traînée de vague (l’énergie dépensée pour créer une vague).
L’invention du foil est une réponse radicale à ce problème. En soulevant la coque principale hors de l’eau, on élimine quasiment toute la traînée de friction et de vague. La seule traînée restante est celle, bien plus faible, des foils eux-mêmes. Le gain est spectaculaire. Une étude sur un ferry à passagers a montré que, comparé à un catamaran traditionnel, le Sky City Foiler offre 30 à 40% de gain énergétique. Sur un voilier de course, où chaque watt d’énergie compte, ce gain est ce qui sépare la victoire de la défaite.
Cette idée de « voler » sur l’eau n’est pas nouvelle. Elle est presque aussi ancienne que la plaisance moderne. Le Monitor américain de Gordon Baker, un monocoque de 6 mètres équipé de foils, a dépassé la vitesse incroyable de 30 nœuds dès 1956. Ce qui a changé, ce ne sont pas les principes physiques, mais les outils pour les exploiter : des matériaux composites ultra-légers et résistants, et une puissance de calcul informatique capable de modéliser et d’optimiser des formes d’une complexité inouïe. La révolution actuelle n’est que l’aboutissement de décennies de recherche et d’expérimentations.
La prochaine fois que vous assisterez au départ d’une course, observez au-delà des voiles. Regardez la danse des appendices, écoutez le sifflement des foils et imaginez le flux de données qui transite jusqu’au cockpit. Vous ne verrez plus des voiliers, mais les héritiers de l’aéronautique, des merveilles d’ingénierie repoussant sans cesse les limites du possible.
Questions fréquentes sur la technologie des trimarans de course
Pourquoi utilise-t-on du carbone plutôt que de l’aluminium ?
Le carbone offre un rapport rigidité/poids incomparable, ce qui est le critère le plus important pour un bateau volant. Un bateau plus léger décolle plus tôt et nécessite moins de puissance pour être soulevé. Par exemple, le trimaran TF10 ne pèse que 1,1 tonne grâce à sa construction intégrale en sandwich de carbone avec une âme en nid d’abeille Nomex, une performance impossible à atteindre avec de l’aluminium.
Comment fonctionne l’ajustement des foils ?
L’ajustement de l’angle d’incidence des foils et des safrans (le « rake ») est géré par des systèmes électro-hydrauliques commandés depuis le cockpit. Le pilote peut, par la simple pression d’un bouton, modifier l’angle des appendices pour augmenter ou diminuer la portance, lui permettant ainsi de contrôler l’altitude de vol du bateau de manière autonome et quasi instantanée.
Qu’est-ce que l’effet de sol sur les trimarans ?
Sur certains designs, la poutre de liaison centrale, qui relie la coque principale aux flotteurs, est positionnée très bas et a une forme incurvée. En volant juste au-dessus de la surface de l’eau, cette poutre agit comme une aile d’avion, créant un « effet de sol ». Cet effet génère une surpression entre la poutre et l’eau, créant une portance aérodynamique supplémentaire qui peut soulever le trimaran de près de 20 centimètres, réduisant encore la traînée.